Ma vie d’entrepreneuse. Je vous propose aujourd’hui cette interview d’Agnes Heisler qui est interprète et traductrice, experte près la cour d’appel d’Aix en Provence. Elle nous raconte son quotidien d’entrepreneuse, comment elle a commencé sa vie d’entrepreneuse et les côtés moins « funs ». Un métier à découvrir.

Agnes, quel est ton parcours ?

Je suis d’origine allemande et je vis, étudie et travaille en France depuis mon arrivée après mon baccalauréat allemand en 1985. Du coup, je me sens franco-allemande, voire femme du monde maintenant. J’ai fait mes études à Bordeaux et ai obtenu le diplôme supérieur d’études françaises, le diplôme de guide interprète trilingue Anglais/Français/Allemand et enfin une maîtrise en LEA Anglais/Allemand en 1990. En 1992, j’ai été nommée interprète traductrice experte en allemand près la cour d’appel d’Aix-en-Provence et ai tout de suite commencé à travailler.

D’abord en tant que salariée, puis en créant ma propre société de traduction en 1994 : la SARL Intetrad que je gère toujours. Parallèlement, je suis chargée de cours à l’Université de Toulon depuis 2008. De mon côté, je continue à me former dans différents domaines pour rester à jour, me renouveler et élargir mes horizons. Ainsi, j’ai obtenu le certificat d’animatrice d’atelier d’écriture en français en 2020.

Comment es-tu devenue interprète-traductrice ?

J’étais d’abord guide-interprète trilingue à Bordeaux. Puis, j’ai continué mes études en LEA (Langue étrangères appliquées) pour aller plus loin dans l’apprentissage des langues. Lors de mon stage de fin d’études à l’Office de Tourisme, une collègue m’a suggéré d’intervenir pour un cabinet de traduction à Toulon, ce que j’ai fait. Puis, tout s’est enchaîné et j’ai assez rapidement créé ma société.

Ton métier d’interprète-traductrice, en quoi consiste-t-il  ?

J’interviens aussi bien à l’écrit qu’à l’oral pour les particuliers (mariage, transactions immobilières, litiges, administratifs…), les professionnels (conférences, réunions, documentations, accompagnements, contrats, actes notariés…) et les instances et autorités judiciaires et extrajudiciaires (arrestations, audiences, perquisition, écoutes téléphoniques, interrogatoires…). C’est un métier très varié qui m’apprend beaucoup de choses.

Quel conseil aurais-tu aimé recevoir quand tu as démarré ?

De demander un acompte avant de démarrer le travail et de ne pas hésiter à réclamer les factures non payées. Au début, j’ai perdu énormément de temps à courir après l’argent. Certaines factures n’ont jamais été payées d’ailleurs.

Quelles sont les contraintes de ton job ?

Il faut être disponible et parfois se rendre « immédiatement » à la police pour intervenir lors de l’interrogation d’une personne en garde à vue, ou alors traduire une « urgence ».
Il est impératif de connaître ses limites et de prendre le temps pour se documenter lorsqu’il s’agit d’un nouveau domaine. Cela peut prendre beaucoup de temps, or il ne faut pas oublier de vivre. C’est facile de rester devant l’ordinateur tard le soir quand on travaille à la maison.

Qu’est ce qui te plaît le plus dans ton job et dans la vie d’entrepreneuse ?

Par sa variété, mon métier me correspond parfaitement car je suis de nature curieuse. Ainsi, je ne m’ennuie jamais. Les documents à traduire ne se ressemblent pas, ou très rarement, les missions à l’oral sont souvent des défis à relever. Au fil des ans, j’ai abordé beaucoup de sujets, ce qui me donne une belle ouverture sur le monde et ses différents aspects.
En tant qu’entrepreneuse, je rencontre des gens d’horizons variés, cela me plaît. J’aurais du mal à rester tous les jours au même endroit, voir les mêmes collègues et faire tout le temps la même chose. Cela peut être rassurant pour certains, quant à moi, je fanerais comme une fleur sans eau.

Et j’aime gérer mes heures de travail à ma manière. Tout en travaillant bien sûr, je n’ai jamais relâché. L’acte de présence serait difficile à supporter pour moi. Je regarderais souvent ma montre 12. En tout cas, je ne me sens jamais « obligée » de travailler. Et ça, c’est un joli cadeau de la vie.

Qu’est ce qui te plaît le moins dans ton job et dans la vie d’entrepreneuse ?

En soi, il n’y a pas grand-chose que je n’aime pas. Mon métier en lui-même me plaît, tout simplement. Quant à l’entreprenariat, je suis parfois fatiguée par les contraintes administratives. Toutes ces déclarations etc. à faire, je le vis comme du temps perdu. C’est le prix à payer pour la liberté.Quelle est la plus grosse erreur que tu aies faite dans ton business ?

C’était tout au début, quand j’étais installée depuis environ six mois. Je devais traduire une brochure touristique et comme je suis guide interprète, je me sentais très à l’aise, trop à l’aise. Ainsi, je n’ai pas fait assez de recherches. J’ai traduit certains termes sans vérifier leur sens précis. Ce n’était pas professionnel, je l’avoue, mais je voulais aller vite. La cliente s’en est rendu compte et m’a demandé de tout relire et réécrire dans ses locaux. Ainsi, j’ai perdu beaucoup plus de temps car elle était à une heure de route de chez moi…

Le quotidien d’une interprète

Mes jours ne se ressemblent pas. Cela dit, je travaille plutôt aux heures de bureau classiques. Dans la mesure du possible, je prévois mes rendez-vous à l’extérieur dans l’après-midi pour consacrer les matinées aux tâches bureautiques. En temps normal, je suis aussi adepte du coworking et travaille régulièrement ailleurs, dans des espaces dédiées, des cafés, des bibliothèques, voire sur des terrasses ou chez des amis C’est une belle manière de rencontrer d’autres personnes. Quand je suis en mission, je prends toujours le temps de découvrir les environs du lieu d’intervention. Cela me permet de voyager au quotidien. J’aime mon quotidien.

Comment fais-tu pour optimiser ton temps ?

Sauf en cas d’une intervention à l’extérieur de longue durée, je me tiens à mes horaires de travail. Cela me donne un cadre à respecter et me permet de ne pas m’éparpiller. Le multitasking n’est pas une bonne idée quand on veut être efficace, alors je ne le pratique pas.

Comment te déconnectes-tu et à quelle fréquence?

Je fais beaucoup de sport, dans la nature ou à l’intérieur quand il pleut. Ce qui est très rare dans le Sud-Est. Je lis et écris, écoute et joue de la musique. Et en temps normal, je profite des événements culturels de la région. Les activités sportives et culturelles font partie de mon quotidien et sont prévues dans mon agenda. D’ailleurs, hier j’ai fait du kayak et ce soir j’ai mon cours de yoga hebdomadaire, actuellement en ligne.

Quels dossiers ou clients t’ont marquée le plus dans ton métier d’interprète ?

DOSSIERS

Dans ce métier d’interprète, en tant qu’experte judiciaire je ne peux pas tout dévoiler. Je pourrais te parler de ma première intervention en prison et ce sentiment de perte de liberté lorsque les verrous se ferment les uns après les autres, de sentir cette odeur puante, d’entendre ce fond sonore composé de silence et de cris au loin.

Je suis souvent émue quand je fais face à la misère de ce monde. La violence, la saleté, la méchanceté. Je me souviens de ce père qui retrouve ses deux enfants après deux ans d’absence en raison d’un enlèvement. Ils ne savaient même plus parler français. Je me souviens du regard vide de cette SDF qui était devenue folle à force d’errer dans les rues, d’avoir froid et peur. Et aussi du flux d’injures insoupçonnées que je devais traduire lors des écoutes téléphoniques réalisées pour la police. Je me souviens de cet homme à l’allure viking qui pleurait au tribunal lorsqu’il se retrouvait face à son agresseur.

De ce détenu qui pleurait, lui aussi, quand il s’est aperçu qui je le comprenais et que j’allais traduire sa parole. Et aussi de ce jeune homme défiguré par la violence démesurée de sa compagne. La liste est longue.
Une chose est certaine, dans de tels moments, mon métier d’interprète prend tout son sens et je me sens utile.

Evolution du métier d’interprète.

J’ai commencé la traduction écrite en 1992. À cette époque, c’était ultramoderne d’avoir un ordinateur, une imprimante et un télécopieur. Puis, le fax modem est arrivé pour être rapidement remplacé par internet. Parallèlement la traduction assistée par ordinateur s’est imposée début 2000 pour être largement pratiquée. Depuis peu d’années, la traduction automatique a révolutionné notre travail, sans pour autant nous remplacer. Heureusement d’ailleurs ! Quant à l’interprétation, le changement est très récent en raison des mesures restrictives liées à la pandémie. Je pratique beaucoup plus souvent l’interprétation par téléphone et surtout par internet. J’ai d’ailleurs suivi des formations pour bien maîtriser les outils de visioconférence.

D’après toi le métier d’interprète va-t-il encore évoluer ?

La traduction automatique est de plus en plus performante, mais une bonne traduction a besoin du cerveau humain et ça restera ainsi. Les langues évoluent à grande vitesse et seulement un être humain peut saisir les différentes nuances. Le robot a besoin de nous pour exister. Au lieu de tout traduire, nous corrigerons de plus en plus de textes pré-traduits par ordinateur. Ce n’est pas plus facile, juste différent. Quant à l’interprétation, je pense que les interventions à distance vont encore se multiplier, surtout celles de courte durée. Alors, il s’agit de s’adapter et de savoir se servir des outils nécessaires.

T’es-tu réinventée dans ton métier d’interprète?

J’ai toujours aimé intégrer les avancées technologiques dans ma vie. Ainsi, j’ai évolué avec le monde autour de moi pour toujours exercer mon métier d’interprète. Le fait de permettre à des étrangers de communiquer entre eux me plaît beaucoup. À l’issue de multiples formations et grâce à mon goût pour l’écriture, j’ai mis en place des ateliers d’écriture ludique en 2019 pour partager mes connaissances sur les bienfaits de l’écriture spontanée. Cela me plaît beaucoup.

Atelier ecriture

Avec ces ateliers d’écriture ludiques « Comme une Plüme » je m’adresse à celles et ceux qui ont envie d’écrire pour le plaisir. À travers des exercices et outils surprenants, ces ateliers ludiques s’adaptent à tous les niveaux, en solo ou en groupe, en présentiel, en itinérant ou en ligne. J’ai envie de permettre aux participants (es) de découvrir leur vraie écriture sans se soucier des règles de grammaire ou de style. Je les incite à découvrir des émotions et des sensations enfouies. Lors des ateliers, ils sont souvent surpris par leurs propres textes. C’est très gratifiant je trouve.

Que conseilles-tu aux jeunes ?

Trouvez-vous une ou plusieurs spécialités que vous aimez et maîtrisez : le foot, l’astrologie, la cuisine japonaise, les jeux vidéo, la photographie, le Népal, les séries américaines, le rap, le bricolage, les insectes… Découvrez ce sujet jusqu’au dernier petit recoin. Comme il vous plaît, c’est facile. Puis, ces spécialités vous aideront d’une manière ou d’une autre dans votre vie. Soit pour vous évader, soit pour en faire votre métier. D’après moi, il est important d’avoir une passion dans la vie pour vivre sereinement.

Et n’oubliez surtout pas d’accueillir le changement. Le monde évolue, depuis toujours. Ce n’était pas mieux avant, juste différent. Comme rien n’arrête le changement, il vaut mieux l’accepter pour l’intégrer dans sa vie.

« Il n’existe rien de constant si ce n’est le changement. » Tellement vrai !

Bouddha

Formez-vous, encore et encore. À votre manière et jusqu’au bout de votre carrière, voire au-delà. Ainsi, vous ne vous ennuyez jamais et gardez l’esprit vif.

Que souhaites-tu pour l’avenir ?

Que nous réussissions tous à surmonter cette période inattendue et à rebondir pour nous forger un futur positif, pour vivre. J’y crois et je pense aussi que les jeunes veulent construire un monde plus humain et juste. D’après moi, nous pouvons y arriver ensemble. Et en acceptant le changement.

Voilà, j’espère que cet article qui change un peu de ce que je vous propose d’habitude vous aura plu. Vous pouvez retrouver agnes et ses ateliers d’écriture sur son facebook ou sur son site comme une plüme. Et bien sûr son site de traduction intertrad.